Une couleur
Pourpre.
Le velours de théâtre des
fauteuils aux boiseries dorées flambait dans la lumière de
l’après-midi. Elle a pris mon poignet et ma main a été comme un pendule dans la sienne. L'heure a tourné de plus en plus vite et des années se
sont écoulées, les ombres se sont allongées sur la table basse et les passants, les serveurs n’ont plus été que des formes grises. J’ai vu
défiler les secondes, les minutes, les heures, je me suis demandé combien de
temps il fallait observer avant d’agir. J’ai saisi le bout de ses doigts et les ai tenus comme des élytres
de scarabée jusqu’à ce qu’elle les abandonne entre les miens. J’ai touché la couleur
de sang séché sur ses ongles et son corps s’est
débattu. Je lui ai dit que ça n’avait pas
d’importance. J’ai parlé doucement car son visage pouvait s’effacer en
un souffle. J’ai effleuré ses doigts, j'ai tracé le contour de chaque phalange, j'ai caressé la pulpe tendre de son index, de son majeur, de son annulaire. J’ai senti
la chaleur qui avait fui sa main revenir dans ses veines. Elle a attrapé mes
doigts à son tour, elle les a caressés avec une douceur attentive, bouche entrouverte,
souffle retenu. Elle m’a demandé ce que nous faisions. Je n’ai rien répondu.
Nos doigts se sont enlacés sous nos regards croisés, elle a regardé mes yeux
sans ciller, je me suis penché vers son cou, j’ai respiré
l’odeur de sa peau. A l’abri de ses
cheveux j’ai frôlé sa joue. Elle a sursauté doucement, j’ai
éloigné mon visage en effleurant la commissure de ses lèvres. Nos bouches se sont rapprochées avec lenteur,
nos lèvres se sont touchées avec une patiente curiosité, troublées de leur
familiarité.
Naturellement le monde a cessé d’exister.
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