Rouge baisée
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Ce matin, elle m’a envoyé un SMS : « Oups, la petite garce a oublié de mettre une culotte… »
Le message m’a pris par surprise. J’ai été saisi d’une bouffée d’images et de
sensations contraires. Pendant quelques minutes, j’ai joué avec le
téléphone, faisant disparaître puis réapparaître le message pour en distiller
le pouvoir érotique.
J’ai décidé de
ne pas répondre.
Vers midi, le
téléphone a de nouveau bipé et j'ai pu lire « Mes bas contiennent difficilement mon désir, mes
cuisses sont trempées »
A présent il est midi trente et je
roule vers elle.
Elle
m’attend à l'endroit que je lui ai fixé. Elle a assorti sa tenue à son humeur... une jupe écarlate, un cache-cœur de même couleur enserrant sa taille de plusieurs
tours (« c'est pour
m’empêcher de me déshabiller trop facilement, tu comprends ? ») et une fausse queue de cheval rousse qui répond au henné de ses
cheveux et lui fouette les reins.
Elle monte dans la
voiture, je mets le cap vers cet hôtel particulier qui accueille
si libéralement nos étreintes clandestines. Un quart d’heure plus tard la voiture
descend la rampe d’accès du parking souterrain voisin. Je coupe le contact.
Dans un silence de
bêtes en chasse, nous nous attrapons violemment la bouche. Une morsure. Une
envie de sang. Les mains agitées de spasmes. Corps. Peau. Sexe.
Elle est déjà à
ma braguette, griffant le tissu comme un animal fouaille la terre. Bouton qui
saute, mâchoires de métal soudain édentées.
Ma chair gonflée
répandue dans sa bouche. Entre ses lèvres. Sur sa langue. Tête renversée contre
l’appuie-tête. Soupir comme un râle. Prendre son visage entre mes mains, guider
ma queue vers sa gorge.
J'entr'ouvre les yeux. Talons tap tap tap. Une femme approche dans le parking. Collier de perles, pull cachemire, sacs à provisions. Je m'arrache à sa
bouche. « Attends ! ». Je remets le contact, moteur qui gronde en
écho entre les murs. J'enclenche la marche arrière, première, coups de
volant. Elle, poussée contre la portière, les yeux un peu fous, la jupe
en haut des cuisses. Les pneus crissent sur le béton peint.
Là.
Une camionnette, le
mur, et entre les deux un emplacement sombre.
Il y a un dieu pour les
amants.
Je manœuvre la
voiture pour la tapir dans l’encoignure.
Je subis une attaque d’une violence inouïe. Le dossier craque sous la poussée du corps de cinquante-cinq kilos lancé sur
moi en balistique.
Ne plus avoir assez de mains. De bouches. De muscles. Etre partout. Haleter
sous l’ivresse. Ma main qui agrippe son cou, ma bouche qui boit à la sienne.
Qui mange à sa chair. Ses doigts verrouillés à ma queue palpitante comme
au seul point fixe de ce bateau en déroute.
J’entreprends de délivrer son corps de son bustier comme si c’était la dernière chose que j'allais faire de ma vie. Un tour, deux tours, trois pour enfin libérer ses seins blancs
fardés de rose. Lécher, sucer, les englober d’une bouche vorace et très vite se
repaître de la douceur de sa chair intime parfaitement lisse, laper à l’orée de
ses cuisses, résister à l’envie animale de mordre violemment la chair si tendre, maintenir
de mes mains ses hanches qui s’élancent vers ma bouche à en faire craquer mon cou.
Jeter un œil, constater que les vitres sont déjà opaques de la vapeur de nos deux
corps chauffés à blanc. Remercier la physique.
Se contorsionner pour qu’elle finisse d'ôter mon pantalon, basculer le dossier en arrière, la sentir enfin sur moi et oublier tout, tout à part ma chair
gonflée au fond de sa chair dilatée, à part ses gémissements dans l’air
raréfié, à part mes dents dans son bras et ses griffes sur ma poitrine
lacérée.
Je suis une machine dans la machine, piston humain dans un univers mécanique, elle
va jouir très vite, je plaque ma main sur sa bouche et endure sa morsure.
Elle s’arrache de mon sexe, elle s’extirpe de sa jupe, j’ôte les
boutons de ma chemise pour me rendre compte qu’elle a l’air d’avoir été portée
sous la douche -à quoi je vais ressembler en rentrant au bureau ?- je
vois la sueur qui coule entre ses seins dans cet habitacle transformé en étuve,
je sens mes cheveux collés sur mon front, elle se retourne, coince son corps nu entre les
sièges baquets et m’intime de venir en elle.
Je transfuge du coté passager, je glisse mon membre dans sa fente, elle
dit « Non, encule-moi ! » Nous sommes tellement mouillés et de
tant de façons différentes que j’entre entre ses fesses sans hésiter, je vais
et viens en elle en m’appuyant sur les appuie-tête, la voiture oscille sur ses
roues, je vais desceller ses hanches de sa colonne vertébrale, encore, encore et
encore et au moment où je déverse mon sperme dans ses entrailles elle implose au contact simultané de ma queue et des coutures du cuir fauve qui mordent sa peau, d’un cri qui fait résonner le métal noir.
Dehors, dans le silence revenu, des familles passent avec les
courses du repas du soir dans le caddie.
Je m’extrais doucement, très doucement d’elle. Il n’y a pas un muscle qui ne me
fasse pas mal. Je l’aide à se redresser, à s’asseoir enfin, elle est tétanisée.
Les sièges sont glissants de stupre, nos visages sont noyés de sueur et de nos
fluides, nos poumons happent les dernières molécules d’air vicié. Des gouttes d'eau glissent le long des vitres et dessinent des barreaux sur la buée.
Hagards, incrédules, nous nous regardons avec encore une trace de folie dans
les yeux. Il va s’écouler de longues, de très longues minutes avant que nous ne puissions
même bouger.
Ce matin, elle avait mis du rouge.
Et c’est vrai, elle n’avait pas mis de culotte.
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