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Mes mots random...
12 mars 2008

D'éponge et de craie

Nous nous sommes rendus dans ce bâtiment sans grâce construit dans le style incertain des ouvrages de l’avant ou de l’après-guerre.

Les marches d’escalier étaient en carreaux blancs, parsemés de petit carreaux noirs.

Les salles avaient été vidées de leurs tables et de leurs chaises. J’ai tourné un peu autour des rideaux des isoloirs, remarquant ici des silhouettes de bateaux de pêche jaunes et rouges trônant sur la maquette en bois d’une écluse, là des figurines en papier mâché dont la verticalité filiforme n’était pas sans rappeler Giacometti.

Et puis ma mère est allée dans l’autre salle, celle où l’on votait pour les élections Cantonales. De ce coté-ci, la file d’attente était longue et la jeune femme qui s’assurait que nul ne prenait plus que son quota de bulletins de vote, ordinaire.

Je me suis donc dirigé vers la cours pour prendre l’air en attendant que fût accompli le devoir électoral.

Juste avant la sortie, sur la gauche, il y avait un couloir peint d’une harmonie risquée de rose saumon et de vert anglais. La lumière y pénétrait par de grandes fenêtres.

J'ai pris le couloir. D’abord d’un pas hésitant, m’attendant à ce qu’on me fasse remarquer que je n’avais rien à faire ici. Rien à faire en pays d’enfance.

J’ai longé les bacs avec des chiffons et des pinceaux, les consignes pour se laver les mains en comptant jusqu’à cinquante. Les plantes vertes un peu défraîchies. Les patères nues à l’exception d’une seule sur laquelle était accrochée une casquette.

J’ai risqué un regard timide par la vitre donnant sur la salle de classe. Drôle d’époque où l’on craint d’être pris pour un pédophile dès qu’on regarde une salle de classe vide…

J’ai regardé l’intérieur de la première classe. Le tableau noir, vert comme il se doit. Les craies. L’éponge. Les photos punaisées en frise en-dessous d’une grande planisphère. Une classe imprégnée de géographie.

J’ai observé l’autre classe, celle qui suivait dans le couloir. Les bancs. Les tables en bois usées au niveau des coins et griffées de secrètes déclarations, pyrogravées de petites minutes d’ennui. Les dessins sur des feuilles à petits carreaux.

J’ai regardé, longuement, et j’ai respiré à pleins poumons. Le bois. Le vernis. La craie. Cette odeur indéfinissable qui est la même partout dans toutes les écoles de France.

J’ai respiré, profondément.

J’ai laissé l’odeur de l’enfance descendre au milieu de mon corps, distendre ma cage thoracique, atteindre le bout des alvéoles. J’ai aspiré l’enfance, je l’ai laissée se convertir doucement en nostalgie comme un marshmallow fondant sur la langue.

J’ai laissé l’odeur de l’enfance prendre des formes de madeleine, de rêves d’enfants, d’avenir confiant et de demains insouciants. Je l’ai laissée se cristalliser en petits bonheurs et en gros chagrins. J’ai laissé ma salive la diluer de sucs doux-amers, je l’ai avalée d’un coup de glotte.

Je suis resté un instant là, sur un pied ou sur l’autre.

J’ai respiré encore une fois. Ou deux.

Je me suis tourné vers le bout du couloir, ma mère m’attendait.

Entre-temps, la roue du temps avait tourné. Cette fois-ci, c’est moi qui l’ai raccompagnée vers la sortie de l’école...

 

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Commentaires
C
Demeurent dans nos mémoires les sortilèges d'un âge d'innocence, de fable et de liberté ...<br /> il suffisait juste de faire glisser un palet pour passer de terre à paradis ...<br /> garder en nous assez d'enfance et de tendresse pour s'en émerveiller [...]
M
@ oxanne : A cet âge-là, nous sommes de petites éponges sensorielles... le monde pas encore filtré par l'apprentissage, par les pensées trop denses, par le regard des adultes.
M
@ Claire obscure : Comme je vous le dis souvent, je crains d'avoir une vie intérieure assez pauvre, comparé à vous bien évidemment et même comparé à Marine Le Pen... Les souvenirs sont immobiles, enkystés, ensevelis sous le présent. Et c'est l'extérieur, par-delà la fine couche de peau, par les orifices qui font communiquer l'intérieur et l'extérieur que les souvenirs reviennent.
M
@ Vagant : Merci... Les madeleines ont des formes et des parfums variés.
M
@ Faits d'hivers : Puisque vous parlez de Nathalie, moi je me souviens de Christine... Mon premier grand amour... Une jolie fille, grande, sportive, les yeux bleus... Elle faisait de l'aviron. Elle a continué à en faire d'ailleurs, puisque la dernière fois que j'ai entendu parler d'elle, elle participait aux Jeux Olympiques. Le problème, c'est que je ne me suis rendu compte que c'était une femme qu'en voyant son nom en bas de l'écran...
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