D'éponge et de craie
Nous
nous sommes rendus dans ce bâtiment sans grâce construit dans le style incertain des ouvrages de l’avant ou de
l’après-guerre.
Les
marches d’escalier étaient en carreaux blancs, parsemés de petit carreaux noirs.
Je
me suis donc dirigé vers la cours pour prendre l’air en attendant que fût accompli le devoir électoral.
Juste
avant la sortie, sur la gauche, il y avait un couloir peint d’une harmonie risquée de rose saumon et de vert anglais. La lumière y pénétrait
par de grandes fenêtres.
J'ai pris le couloir. D’abord d’un pas hésitant, m’attendant à ce qu’on me fasse
remarquer que je n’avais rien à faire ici. Rien à faire en pays d’enfance.
J’ai
longé les bacs avec des chiffons et des pinceaux, les consignes pour se laver
les mains en comptant jusqu’à cinquante. Les plantes vertes un peu défraîchies.
Les patères nues à l’exception d’une seule sur laquelle était accrochée une
casquette.
J’ai
risqué un regard timide par la vitre donnant sur la salle de classe. Drôle
d’époque où l’on craint d’être pris pour un pédophile dès qu’on regarde une
salle de classe vide…
J’ai
regardé l’intérieur de la première classe. Le tableau noir, vert comme il
se doit. Les craies. L’éponge. Les photos punaisées en frise
en-dessous d’une grande planisphère. Une classe imprégnée de géographie.
J’ai
observé l’autre classe, celle qui suivait dans le couloir. Les bancs. Les
tables en bois usées au niveau des coins et griffées de secrètes
déclarations, pyrogravées de petites minutes d’ennui. Les dessins sur des
feuilles à petits carreaux.
J’ai
regardé, longuement, et j’ai respiré à pleins poumons. Le bois. Le vernis. La
craie. Cette odeur indéfinissable qui est la même partout dans toutes les
écoles de France.
J’ai
respiré, profondément.
J’ai
laissé l’odeur de l’enfance descendre au milieu de mon corps, distendre ma cage
thoracique, atteindre le bout des alvéoles. J’ai aspiré l’enfance, je l’ai
laissée se convertir doucement en nostalgie comme un
marshmallow fondant sur la langue.
J’ai
respiré encore une fois. Ou deux.
Je
me suis tourné vers le bout du couloir, ma mère m’attendait.
Entre-temps, la roue du temps avait tourné. Cette fois-ci, c’est moi qui l’ai
raccompagnée vers la sortie de l’école...