Maison Usher
Ainsi nous nous tenons debout devant la grande baie vitrée, face à la ville plongée dans la pénombre.
Devant nous, les tours de la mégalopole tombent les unes après les autres. Nous sommes dans la séquence finale de Fight Club et assistons en silence à la chute des piliers du capitalisme financier.
L'effondrement de ces buildings-là nous laisse muets, comme celui des tours du World Trade Center nous avait arraché des cris et des larmes. Ici pas de victimes sautant des fenêtres éclatées, pas de corps brûlés dans les nappes de kérosène en flamme, pas d'appels d'adieu sur des téléphones mobiles bientôt vaporisés dans le souffle des explosions.
Cet effondrement-là est silencieux, aussi immatériel dans sa chute que l'ont été les fondations de sa gloire. Personne ne pleure ceux qui, la veille, clamaient qu'on devait leur laisser faire du profit sans la moindre contrainte et qui, à présent, quémandent sans dignité l'aide de ceux-là même qu'ils ont ruiné et exproprié.
Nous regardons tomber les tours de marbre les unes après les autres, impavides. Seuls quelques-uns se réjouissent, inconscients du fait qu'ils se tiennent eux-mêmes debout sous les tours. Sous peu les premiers éclats de métal tomberont, sous peu les premiers morceaux de chairs seront arrachés aux os, sous peu les premiers cris retentiront.
Nous regardons les tours tomber, étrangement étrangers à tous cela, à ceux qui souffrent la-haut. Nous ne disons rien, nous ne poussons aucun cri de victoire car nous savons au fond de nous-même que cette victoire-là nous laissera un goût de cendres dans la bouche.
Nous regardons les tours tomber en sachant que la chute de celles-ci n'est pas le triomphe de ceux-là, que la tumeur parasite est devenue si grosse que son ablation entraînerait la mort de l'organisme.
Nous regarderons les tours tomber en silence et déjà assistons aux premières alliances, aux premières reconstructions. Les tours s'épaulent les unes aux autres, vacillent et s'adossent à leurs voisines.
Ces tours-là chutent. Elles ne s'effondrent jamais totalement.
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