Zik ta mère
Quand il est arrivé, ce petit con de stagiaire, j’ai su tout de suite que j’allais l’avoir dans le pif.
Avec sa gueule estampillée école de commerce, son petit costard cintré Agnès B (« t’as vu, comme Dionysos ! » ) et son tatouage tribal-ethnique-ta-mère qu’il montrait aux pétasses de la compta, j’ai compris que ça allait pas être possible entre lui et moi. Et vas-y que je te déroule des chiffres. Et vas-y que je te parle en parts de marché. Et vas-y que je te calcule des rotations sur les chaînes musicales du câble et du satellite avec des camemberts en couleurs devant un big Boss aussi ravi que s’il était aux NRJ Music Awards avec un vibro planté dans le cul…
Mais le pire, c’est qu’en-dehors du temps qu’il passait à se rendre intéressant, il était toujours fourré dans mon bureau à me poser des questions sur comment c’était à mon époque. A mon époque ! Blaireau. Et vas-y que je te demande comment c’était de faire le roadie pour les Stones. Et vas-y que je te demande ce que ça faisait d’être en studio avec Freddie Mercury. Et vas-y que je te demande si j’avais connu Elvis Presley, « parce que c’était à peu près à la même époque, non ?… » Ouais, t’as raison p’tit gars. Même que c’était juste après la mort de Beethoven dans un crash d’avion au-dessus du Nouveau-Mexique… Blaireau !
Le pire, c’est que quand il me cassait pas les couilles il écoutait M Pokora sur son i-pod et qu’il te parlait du R’nB en pensant que ça avait été inventé par Rhyanna... Une buse, quoi. Non, pardon : « un échantillon représentatif du marché des jeunes ».
Il l'était d'ailleurs tellement, représentatif, qu’il a été embauché après son stage. Aux études. Un poste spécialement créé pour lui. Et je me le suis coltiné huit mois. Huit putain de mois à me demander comment j’allais le dézinguer ! Jusqu’au jour où il a déboulé dans mon bureau en me disant qu’il venait d’entendre « la version anglaise de Comme des connards de Mickaël Youn » et que ça lui avait donné une idée. Je l’ai regardé avec des yeux comme des soucoupes, avant de piger qu’il parlait de « My Sharona » de The Knack. C’était ça qu'il appelait « La version anglaise de Comme des connards » ?? Oh putain… Et il a continué : « Et ben tu sais quoi ? Si on faisait des reprises des tubes d’aujourd’hui par des vieux artistes ? Tu sais, un peu comme… comme de la musique vintage ! » J’ai fait une pause. Et puis j’ai sorti du tiroir la liste des meilleures ventes de disques de la semaine et j’ai embrayé en me mordant l’intérieur des joues : « Si je t'ai bien compris, tu voudrais… faire reprendre California Dreamin des… heu… des Royal Gigolos par The Mamas and the Papas, c'est ça ? Ou faire une reprise de The Lion sleeps tonight de Pat & Stanley par The Tokens ?" "Ouais, c'est ça. Enfin, avec des artistes connus, hein ?" "Comme, disons faire reprendre La Isla Bonita de... de Squeeze Up par Madonna ou Born to be alive des Disco Kings par Patrick Hernandez ? C’est bien ça ton idée ? » « Ouais, exactement ».
Oh, putain !! Je la tenais enfin, l'occasion de l’envoyer en aller-simple booster la carrière de Steeve Estatof… Je lui ai immédiatement pris un rendez-vous avec le big boss en lui suggérant aussi la reprise des plus gros succès de Chimène Badi par Carla Bruni et de Born to be Alive de Christophe Willem par Patrick Hernandez pendant qu'on y était ! Il est monté au huitième comme une fusée avec ses deux réservoirs de poudre au cul et j'ai savouré mon plaisir... Y’avait plus qu’à attendre qu’il redescende en version Columbia…
Et bien quand il est redescendu, il m’a dit que le big boss avait a-do-ré son idée. Il a eu le budget, il a sorti en un rien de temps une compil « Le top des hits par… », c’est passé chez Charly et Lulu sur M6 et deux semaines plus tard ça pétait tous les compteurs de vente. Mieux que les cinq Star Ac’ confondues ! Alors il a été promu directeur du label et moi j’ai été viré.
Heureusement, ils ont été cool chez Warner : ils ont bien voulu de moi pour s’occuper du come-back de Steeve Estatof…