Torticolis
Arrivé au restaurant à l'heure, donc en avance (j'attends une femme), je parcours les visages alentours.
A ma gauche, une jeune nana avec une très grosse poitrine sous un petit pull parcourt distraitement son menu. Un trentenaire gominé en costume à rayures la couve d'un vaste sourire tout en dents.
Je me souviens de la dernière fois que je suis venu ici. Il y avait une fille qui montrait son book à un photographe, elle était spécialisée dans le nu. Assis devant un thé avec Mlle Zeng, je regardais la nuque de cette fille inconnue et par un simple ajustement de profondeur de champ je voyais son cul, ses cuisses, son ventre, ses seins. Et Mlle Zeng tentait de me reconquérir.
Mon rendez-vous passe la porte d'entrée. Elle s'assoit.
En l'espace de vingt minutes, le restaurant s'est rempli à une vitesse considérable. Un couple qui doit avoir la cinquantaine s'est installé à la table d'à coté. La femme, que j'aperçois de dos, a une allure indéniable. Une peau à peine bronzée et parfaitement tendue sur l'élégante ossature de son visage. Des cheveux gris légèrement brushés en arrière. Une tenue sombre et impeccable. Une grosse bague. Rien de plus.
Je crois que c'est à l'énoncé du mot "baise" qu'elle tourne brutalement sa tête vers notre table.
Elle réfrène immédiatement son impulsion mais sa tête reste bizarrement orientée. Elle ne regarde plus en face son interlocuteur qui n'a rien entendu et continue de parler. Dans le vide, je le crains.
Un peu plus tard, elle réagira de la même façon au mot au mot "partouze", au mot "zoophilie" et aux mots "club échangiste".
Quant à "enculer", il la fait sursauter sur son siège comme si un objet en était brusquement sorti.
Lorsque ma convive et moi nous levons et nous dirigeons vers la sortie, je sens un regard qui pèse avec insistance sur mon dos.
Je ne me retourne pas, je me contente de sourire... C'était un agréable déjeuner.