Des équilibres
Je referme le livre. J’ai mal dans l’épaule d’être resté longtemps immobile sur ce lit, sous la toiture mansardée de la maison. Par le Velux ouvert volètent quelques piaillements d’oiseaux, le bruit d’une tondeuse à gazon et l’odeur de l’herbe fraîchement coupée. Je m’allonge sur le dos. Je bascule ma tête en arrière pour regarder le ciel bleu par l’ouverture carrée. Dans mon champ de vision défilent le plafond, le velux et, pour barrer cet horizon, une poutre. Je pousse doucement mon corps en arrière, mon torse pend hors du lit, tête toujours levée vers le plafond et le ciel. Je suis presque à l’équilibre sur la tranche formée par le matelas, colonne vertébrale fléchie en arrière. Je lève mes jambes vers le plafond et je sens mon corps tout entier basculer vers l’arrière. Je ne fais rien pour l’empêcher. Mon champ de vision glisse et se décadre avec une onctuosité toute cinématographique. Mes pieds entrent dans le champ et tracent une parabole sur le plafond blanc jusqu’au moment où ils viennent se bloquer contre la poutre. Ma chute en arrière est stoppée. Je sens le poids de mon corps attiré tout entier vers le sol. Ma colonne vertébrale est en parenthèse ouverte, chaque disque intervertébral bien détaché des autres, au repos. Seules mes épaules reposent à présent sur le lit. Je suis un arc posé sur sa pointe. Je reste ainsi dans l’incertain plaisir de la suite. Je ne sais pas si le retour à l’équilibre sera possible, je ne sais pas si le prochain mouvement va me faire tomber en arrière avec ma tête qui heurtera le sol dès que j’aurai relâché l'appui de mes pieds. Je suis bien, dans le vide, en apesanteur. Je suis bien dans ce déséquilibre à l’issue incertaine. Je suis bien dans cette trajectoire où j’ai lancé mes jambes en arrière sans savoir si j’allais pouvoir arrêter ma chute. Je suis bien. Je reste là. Pour l’instant je ne tombe pas. Je suis bien dans cette vie où je me lance sans savoir si je vais pouvoir retomber sur mes jambes, dans ces amours sur le fil où chaque lendemain est une question. Pour l’instant je suis bien, je reste là. Pour l’instant je ne tombe pas.